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Presse - Forces Aériennes Françaises

En avril 1946, le Comité d'Etudes Aéronautiques Militaires - présidé par le Chef d'Etat-Major de l'Armée de l'Air - publiait le premier numéro de « Forces Aériennes Françaises ». Sous la direction du Général Chassin, la revue mensuelle allait rapidement devenir LA publication de référence en matière de réflexion et de doctrine aérienne. Au fil de ses 286 numéros, des signatures prestigieuses s’y sont succédées, traitant de l’histoire des aviations françaises et étrangères, de stratégie et de tactique d’emploi de l’arme aérienne, des nouvelles technologies aéronautiques et de leurs conséquences. En décembre 1971, le Ministre de la défense prenait la décision de fusionner les revues des trois armes en une seule publication interarmes, mettant fin à 25 années d’une publication riche en contenu d’actualité et d’histoire de l’aviation.

Dans sa dernière chronique, publiée lors de son départ en retraite, le Général Chassin expliquait de manière très intéressante le positionnement qu'il avait souhaité pour "Forces Aériennes Françaises". Nous en reproduisons une version abrégée en bas de page.

 

Le positionnement de "Forces Aériennes Françaises" vu par son fondateur.


 

"Je voudrais, au moment où je passe la barre à mon successeur, indiquer nettement ce que j'ai voulu faire de cette revue, que j'ai créée en octobre 1946, à la demande du général Gerardot et, je peux bien le dire, à peu près seul. .... Il y avait plusieurs manières de concevoir ce dessein. On pouvait, par exemple, reprenant l'idée directrice de notre revue d'avant-guerre, mettre l'accent sur les renseignements de technique et donner peu de place aux articles originaux. On pouvait, comme le font d'autres, faire de la revue un instrument de culture générale, y parler philosophie, lettres, théâtre, histoire ou sport sans aborder les sujets brillants que constituent les questions de doctrine. On pouvait enfin ne pas se limiter, aux questions militaires et, prenant pour modèle l'Aéronautique d'avant 1939, traiter de tous les problèmes de l'air, commerciaux entre autres, en réservant une part importante aux recherches des théoriciens. Après avoir bien réfléchi sur ces problèmes, je me suis décidé sans hésiter pour une formule répondant aux caractéristiques suivantes. Tout d'abord ne pas mettre dans cette revue ce qu'on peut lire facilement ailleurs. L'aviation a ceci de particulier qu'étant donné l'audience qu’elle a trouvée auprès du public français, de nombreux journaux et revues existent déjà, traitant — et généralement fort bien — des problèmes d'aviation commerciale ou sportive, et aussi de la technique pure. Qu'on me laisse citer ici l'Air, les Ailes, la Revue Générale de l'Air, la Technique Moderne-Aviation, la Revue du S.G.A.C.C., etc... Et quand j'ai commencé à travailler il y en avait bien d'autres, mortes depuis, telles que Décollage, Envols, Espaces, Aviation Française ou Aero-Revue). Je ne voyais donc pas l'intérêt de donner aux aviateurs militaires des renseignements qu'ils pourraient lire dans ces revues. Ce serait, purement et simplement, de la place perdue et j’estimais n'en avoir point trop ! J'ai donc renoncé, systématiquement, aux articles de technique pure et aux articles relatifs à l'aviation civile. Cependant, comme il fallait prévoir le cas de ceux qui ne liraient que Forces Aériennes Françaises, j'ai créé deux chroniques relatives à ces grands sujets. Ayant eu chance de trouver pour les traiter deux spécialistes de grande classe, je pense avoir réussi dans mes desseins. Mais poursuivons.

J'en arrivai donc à l'idée qu'il fallait centrer la revue sur le point de vue doctrinal. Aussi bien, beaucoup d'autres sont-ils de mon avis : Dans une armée en plein bouillonnement, face à ses nouvelles responsabilités et à la demi-inconnue de ses principes ne devrait-il pas s'élever des voix nombreuses pour réclamer le débat et lancer les thèmes du travail ? Et n'est-ce pas la Revue qui, par son ton de liberté, son absence de dogmatisme et jusqu'à un certain point son irresponsabilité, constitue le terrain pour ces rencontres où le grade de l'auteur importe peu en présence de l'idée créatrice à mettre à l’épreuve ?). Oui, c'est bien cela que j'ai voulu. Une libre tribune où chacun puisse exprimer ses idées, dire ses préoccupations, émettre sans hésiter des critiques et proposer des solutions. Il fallait choisir entre un organe d'expression des doctrines officielles et un creuset où le Haut Commandement, pour justement ne pas les cristalliser, trouve les idées nécessaires à l'évolution de ses conceptions. On s'en doute, il n'y a pas eu, dans mon esprit, un moment d'hésitation. Il est temps d'expliquer maintenant comment nous avons pu réaliser ce projet. Forces Aériennes Françaises, on le sait, n'est pas une revue officielle. Elle est l’organe d'expression du Comité d’études aéronautiques militaires. Ce Comité, qui a été régulièrement fondé sous la forme d'une association, régie par la loi de 1901, se compose actuellement de 718 membres. Il est dirigé par un Bureau de huit membres, a la tête duquel, pour bien marquer notre lien avec l'Armée de l’air, nous avons voulu donner la présidence, es qualité, au général chef d'Etat-Major général de l’Armée de l'air. C'est la notre seul lien juridique avec cette dernière. Il a l’énorme avantage de n'engager en rien le Commandement lorsque paraissent des articles hétérodoxes. Ainsi on évite l’écueil sur lequel viennent buter les revues officielles : celui de la cristallisation, en un mot du conservatisme qui nous a fait tant de mal avant 1940.

Le principe général de la revue-tribune étant admis, ainsi que le thème central, des recherches doctrinales, il fallait trouver des écrivains. Aussi bien, en octobre 1946, de nombreux camarades me prédisaient qu'il me serait impossible de nourrir une revue mensuelle de 144 pages, pour lesquelles il fallait tous les trente jours — et c'est bien court, croyez-moi, pour un. Directeur de revue — cinq articles, deux études ou documents et trois chroniques, sans compter la bibliographie que j'ai toujours assurée à peu près seul, avec l'aide de deux ou trois de mes subordonnés directs. Certes ces craintes étaient raisonnables. Aucune revue d'aviation militaire au monde n'est 'aussi importante que Forces Aériennes Françaises. L'US. Air Force, la R. A. F. publient trois fois par an un « Quarterly » dont l'importance est moindre qu'une seule de nos livraisons. Le Roundel canadien, qui est mensuel, n'a pas plus de 50 pages, Flugwehr und Technik en a 24, la Rivista Aeronautica italienne 45, la Rivista de Aeronautica espagnole 70, Avia (d'Argentine) une vingtaine. Encore ces trois dernières traitent-elles également de l'aviation commerciale et sportive. Il fallait donc avoir la foi pour tenir cette gageure. Mais, eussé-je dû écrire moi-même la nuit les 144 pages du numéro, j'étais bien décidé à ne pas céder au pessimisme. Aussi bien j'avais deux gros atouts. D'abord, les relations confiantes que j'entretiens avec les principaux écrivains militaires mondiaux. Ensuite, la dilection particulière des officiers français pour les travaux écrits, lorsqu'on les laisse parler de ce qui les intéresse et quand ils savent — comme heureusement un règlement d'avant-guerre le permet — qu'ils peuvent s'adresser directement à la Revue sans passer par la voie hiérarchique, souvent semée de parapluies munis d'un stylo rayeur de paragraphes, voie au bout de laquelle il ne reste souvent plus que des pages noires où tout est barré.

Ainsi, •nous avons essayé de paraître tous les mois. Et nous avons réussi ! Nos numéros sont même sortis de chez l'imprimeur avec une régularité de revue civile, le retard n'ayant jamais atteint une semaine et plusieurs numéros ayant paru deux jours avant le 1er du mois ! Mais si nous avons résolu la question matérielle, la question se pose de savoir si nous avons résolu celle de la valeur. Nul n'est prophète en son pays. C'est sans doute au sein de l'aviation française que nous avons senti le plus de réticences. Elles se sont parfois traduites par des lettres de critique dont nous avons toujours tenu compte dans la mesure de nos moyens. Qu'on me permette cependant de faire remarquer que critiquer la Revue c'est critiquer la valeur de ses rédacteurs, donc celle des officiers qui nous les envoient. C'est poser le problème de la culture dans notre armée. J'ai trop souvent fait appel aux jeunes pour ne pas dire aujourd'hui que je ne me range pas aux côtés de leurs détracteurs et que je suis heureux d'avoir révélé aux lecteurs et peut-être aussi à eux-mêmes, des écrivains comme les capitaines Lissarague, Bertrand et Gense, les lieutenant-colonels Bloch et Coutaud, le commandant Genty, l'adjudant-chef Jollivet et le sergent-chef Amrein. Mais en dehors de ces obligatoires — et souvent utiles — réticences, que de lettres exaltantes j'ai reçues. Citerai-je pêle-mêle le général Fuller, Oliver Stewart, le capitaine Liddell Hart, Eddy Bauer, l'amiral Castex, Camille Rougeron, le général Davet, Edmond Delage, le général Weygand, le général G. de Chassey, Etienne Gilson, le recteur Marchand, l'Air Marshal Sir John Slessor, le colonel divisionnaire suisse Rihner, le général italien Mecozzi, le lieutenant-colonel Cerutti, le général brésilien Muniz, le général hollandais Van den Kroon, et bien d'autres! Nos articles sont cités dans les principales revues spécialisées du monde entier : Military Review américaine, Rivista Aeronautica et Rivista Marittima italiennes, Revue Militaire suisse, Flyg (Suède), R. A. F. Quaterly, Rivista de la Fuerzas-armadas (Venezuela), Flug-Wehr und Technik et Interavia.(Suisse), Honved (Hongrie), Rivista de Fuerza aera et j'en oublie.

Enfin les Revues sœurs, quels que soient parfois les différends doctrinaux qui nous séparent, nous ont toujours témoigné l'estime la plus franche. Ecoutons la Revue Militaire d'Information dans son dernier numéro : « Les aviateurs nous permettront de les donner en exemple, malgré les égratignures qu'ils ne font rien pour nous épargner. Forces Aériennes Françaises est un cratère en pleine éruption. Quel meilleur éloge pour une revue ? » "

Général de Corps Aérien L.-M. Chassin